NOTE DE LECTURE

LA POLICE DES LUMIÈRES, XVII-XVIIIe SIÈCLES

par Nicolas Vidoni


Nicolas Vidoni, maître de conférences en histoire à l’université de Montpellier, nous livre, dans le cadre d’une recherche extrêmement approfondie et documentée et avec force détails ce que fut la police de Paris, dans le contexte des Lumières. « Longtemps assimilée au contrôle des populations, dans les domaines des mœurs, de la dissidence politique ou de la censure », la police allait s’occuper plus spécifiquement de la « dimension matérielle de l’administration des villes ».

En effet, « c’est vers la fin du XVIIème et tout au long du XVIIIème siècle que l’idée d’ « administrer » les villes s’imposa en France et en Europe. Synonyme du terme de police originellement, le terme d’administration commença peu à peu à le supplanter. La « police » prenait son sens étroit qui recouvre des activités telles que nous les connaissons aujourd’hui.

Au XVème et XVIème siècles, la police fut pensée et théorisée comme un des trois freins constitutionnels au pouvoir du roi, à côté de la religion et de la justice. Or précisément, la police allait être appelée à réguler de plus en plus les « désordres urbains ». D’autant que Paris connaissait une expansion rapide au cours du XVIIème siècle, en passant de 300 000 à 500 000 habitants.

Le pouvoir royal répondit à ce défi autant urbain, social que politique, par la création d’agents d’Etat, les inspecteurs du Châtelet, et de leurs auxiliaires, les officiers.

Par ailleurs, la modernité de cette police des Lumières correspondait à une nouvelle conception de la ville qui nécessitait de multiplier les « savoirs urbains » dans des dimensions proprement matérielles. Nicolas Vidoni décrit ce changement de paradigme : « l’évolution de la notion de police révèle que, d’émanation de la justice, elle devint peu à peu un moyen de définir par des règlements ce qui était acceptable ou non dans la vie urbaine ».

Au-delà des théorisations plus ou moins élaborées de la souveraineté monarchique, on s’enquit de voir à l’œuvre les modalités concrètes et les expressions tangibles de celles-ci. Ainsi « le pouvoir normatif du roi passait par la capacité à réglementer les comportements et les usages de la ville, en particulier en accordant une attention soutenue à l’espace urbain, faisant de Paris un laboratoire pour la police en France ».

Cette volonté d’ordonner la capitale du royaume consista dans un premier temps à réorganiser les autorités parisiennes, notamment après l’épisode de la Fronde. Ces autorités urbaines obtinrent d’importants avantages financiers, économiques et symboliques dès lors qu’elle servait l’intérêt du pouvoir monarchique, notamment par le biais d’exemptions fiscales.

Le roi institua par ailleurs des officiers municipaux (sur le principe de la vénalité des charges), dotés d’attributions policières, afin de rallier les élites urbaines.

L’institution de la Lieutenance de police créée par un édit de mars 1667 fut le produit d’une réforme avant tout conceptuelle : elle pose que les fonctions de justice et de police sont incompatibles et « d’une trop grande estendue, pour estre exercées par un seul officier dans Paris ».

Mais Nicolas Vidoni rappelle que la Lieutenance de police n’avait aucun moyen et ce fut la raison pour laquelle l’édit de mars 1667 imposa aux commissaires et agents du Châtelet de se conformer à la hiérarchie du lieutenant de police, mais certains officiers regimbèrent. Ainsi, les commissaires du Châtelet dans leur quartier respectif continuèrent à exercer fonctions civiles et policières.

Pour autant, le pouvoir royal ne renonça aucunement à son intrusion dans la mise en ordre de la capitale : un édit de 1702 créant l’office de receveur général de la taxe des boues et des lanternes, un pour chacun des 20 quartiers nouvellement créés (la capitale en comptait 16 avant).

L’institution de la lieutenance de police gagnait en prestige au point d’être considérée comme équivalente à celle d’un ministre. La preuve en fut que d’Argenson, Sartine et Lenoir furent par la suite appelés à des responsabilités ministérielles.

L’institution s’imposa d’autant plus facilement qu’elle concrétisa par des mesures d’une évidente matérialité : nettoyer et éclairer la ville.

Nicolas Vidoni observe que « l’invention des déchets urbains a consisté à les intégrer dans un processus d’évacuation hors de Paris qui mettait en relation étroite la ville et ses marges perçues comme l’exutoire de ces déchets ».

Il s’agissait également de rationaliser la géométrie urbaine. Le manque de voiries était criant à l’instar du quartier de Marais. Ragueneau fut missionné aux fins d’établir un mémoire général sur les voiries, qu’il remit à La Reynie en avril 1667.

L’anarchie viaire de la capitale était incommode en ce qu’aucun emplacement n’était prévu pour accueillir les immondices dans de nombreux quartiers : Saint Denis, Saint Antoine, Saint Martin…La logique fut d’aménager ces lieux au plus loin de la cité dans les faubourgs.

Par ailleurs, la police « des Lumières » ne pouvait pas ne pas « civiliser » la ville sans l’illuminer. Partout les lanternes jaillissent pour donner à Paris son surnom de « ville lumière » : en 1680, 2 736 lanternes à bougies sont installées dans 912 ruelles. À la fin du XVIIème siècle 5 113 lanternes seront installées, et 6 408 en 1740.

La police des « Lumières » met la ville en « ordre » également e sécurisant les lieux dangereux et insalubres. Une institutionnalisation de l’expertise voit le jour dès 1736, lorsque la lieutenance fit de Legrand l’architecte « officiel » de la police, qui devra conjurer les périls imminents et les désordres dans les rues relevant du Châtelet.

La police de la ville consistait bien à connaître les espaces urbains, notamment, à raison des populations qui les occupaient, en procédant à une « mise en ordre policière des noms de rues ».

Le lieutenant général de police Hérault, par une ordonnance du 30 juillet 1729, institua les plaques indiquant le nom des rues. Ce faisant, la police « imposait symboliquement son pouvoir dans l’espace urbain, à la vue de tous, par des signes forts, en concurrence des usages traditionnels ou vernaculaires, et en complément des pratiques scripturales administratives qui renforçaient la dénomination monopolisée des rues par la lieutenance ».

Rien n’échappera ou presque à la volonté omnisciente du pouvoir royal afin d’ordonner la ville, y compris les chantiers qui, sources de troubles à la fluidité, furent observés et contrôlés, à défaut d’une réglementation les concernant.

A partir de la Régence il s’agissait de faire savoir qu’il importait d’assurer le bien-être de la population, et par extension du royaume. Cela passait par une plus grande visibilité des agents de la force publique dans l’espace public. La création des patrouilles d’inspecteurs y contribua avantageusement, au point que l’on accusa la lieutenance d’une surveillance étroite qui confinait à l’espionnage.

Il fallait donc rééquilibrer cette approche en développant une police « communautaire », plus proches des sujets, en recevant leurs plaintes et en jouant plus un rôle de « médiation ». Ce lien au peuple était renforcé par des évènements et cérémonies publiques. Les inaugurations des marchés « manifestaient le lien essentiel et fondamental entre le monarque nourricier et son peuple ». A telle enseigne que jusque dans la conception des marchés et halles, Lenoir imposa les architectes de son choix et supplanta ce faisant les prérogatives des autorités municipales parisiennes.

La préoccupation hygiéniste n’est pas absente de cette police des Lumières. Le procureur général du Parlement de Paris chargea Lenoir de rédiger des lettres patentes créant la Société Royale de Médecine, dans une volonté de mieux appréhender l’écosystème urbain afin de prévenir les maladies, notamment en instituant une « police des eaux »

A la fin de son opus, Nicolas Vidoni aborde la question des « réflexions réformatrices policières ». En effet, la « police des Lumières » se devait tout autant d’être déployée en actes concrets que pensée. Cette modernité radicale donna lieu à des réflexions doctrinales sur les questions de police en prenant deux directions. La première tenait aux modalités d’exécution des mesures de police à la discrétion des inspecteurs de police. La seconde sur « l’usage de la violence et le degré de légitimité que la population lui accordait ». Il s’agissait de conjurer les abus discrétionnaires des inspecteurs et commissaires.

Sartine et Lenoir enjoignirent à leurs subordonnés de faire preuve de la « plus grande vertu dans l’exercice de leurs pouvoirs de police ». Lenoir fut même très explicite quant à sa conception exigeante en la matière : « … je désire et je veux que tous les officiers qui concourent avec moy à la police de la capitale et qui sont employés sous mes ordres soyent aussi purs du côté de la probité et du désintéressement que je le serai moi-même ».