Ah ! son berceau catalan ! combien il l'aimait, combien il en était fier ! une fierté bienfaisante, celle qui ronronne tel le chat assoupi sur les tuiles tièdes du mas aux volets bleus qui avait illuminé son enfance, celle qui s'enracine tout près des châtaigniers aux bogues plus menaçantes que dangereuses, celle qui se love, mutine, aux sucs des frais genévriers, celle des hommes de bien qui nourrissent, en eux, l'amour forgé de ces terroirs que le soleil rend si généreux, si féconds et si émouvants.


Louis Amade, aura, lui aussi, toute sa vie durant, gardé cette énergie, cette sève, comme une encre irisée, sources d'une volonté, d'une vivacité, d'une inspiration à nulle autre pareilles.

A ce propos, on se souviendra des chansons dont il aura écrit les paroles et qui furent merveilleusement interprétées par une myriade de formidables artistes dont le plus célèbre d'entre eux fut incontestablement le grand Gilbert Bécaud, l'ami de toujours, le fidèle parmi les fidèles, celui dont la voix, l'électrique énergie mais aussi la cravate à pois blancs rendirent célèbre dans le monde entier.


Les deux hommes s'étaient rencontrés grâce à Édith Piaf, qui avait envoyé Bécaud au bureau de Louis Amade, à la préfecture de Versailles. Ce fut à cette occasion que le poète confia à la future vedette un texte intitulé Les croix. Sans tarder, Gilbert Bécaud transformait alors le poème en chanson, composait la musique et achevait l’œuvre en moins de quarante-huit heures. Lorsque le compositeur fit entendre le résultat final à l’auteur, ce dernier n'eut de cesse de le convaincre de tenter sa chance en tant qu’interprète, ce qu'il fit avec bonheur.


Tout au long de la carrière du chanteur, Louis Amade signera de nombreux succès, notamment : La ballade des baladins (1955), C’était mon copain (1955), Les marchés de Provence (1957), La marche de Babette (1959), Le rideau rouge (1959), Pilou Pilou hé (1960), L’absent (1960), Sur la plus haute colline (1961), T’es venu de loin (1964), Quand il est mort le poète (1965), L’important c’est la rose (1966), On prend toujours un train pour quelque part (1968), Un peu d’amour et d’amitié (1972), Il y a des moments si merveilleux (1975),  La corrida, etc. La dernière chanson de l’auteur pour Bécaud s’intitule Du sable dans les mains (1992). Enfin, toujours avec Gilbert Bécaud, Louis Amade signe la cantate L’enfant à l’étoile (1960) et l’Opéra d’Aran (1962), également avec Pierre Delanoë et Jean Emmanuel.

Ces chansons, que l'on se plaît à fredonner, que l'on tutoie comme de vieilles amies retrouvées sur les quais de Seine, résonnent en nous avec une nostalgie qui ne mérite pas d'être drapée de tristesse mais bien de cette tendresse par laquelle ces deux compagnons de route rocailleuse étaient intimement liés.

De manière plus personnelle, j'ajouterai avoir eu le privilège de rencontrer Louis Amade à plusieurs reprises à son étonnant bureau de la Préfecture de Police à l'époque où, l'intéressé étant une véritable montagne de la poésie, je n'étais même pas l'esquisse d'une simple colline.

Je garde de ces chaleureux entretiens un souvenir ému et vivace et je demeure pétri de reconnaissance pour celui qui, examinant mon œuvre naissante, me prodiguant les conseils les plus utiles de sa voix si typique, su encourager, en moi, la passion des mots que notre langue maternelle rend si beaux. C'est ainsi que je pus lui apporter mes deux recueils de poésie, ouvrages dont il salua la musicalité et l'originalité en toute sincérité : « Requiem pour un cœur » en 1976 et, en 1980, « Gabrielle ou les poèmes de la solitude » -(écrit en hommage à Gabrielle RUSSIER, dont la tragique histoire d'amour fut relatée dans l'excellent film réalisé par André Cayatte « Mourir d'aimer », avec la sublime Annie Girardot. Une très belle chanson, portant le même titre, a également été interprétée par Charles Aznavour).

Considérablement affaibli par la maladie, Louis Amade nous quittait le 4 octobre 1992 à Paris. Après une émouvante cérémonie célébrée en la Cathédrale Notre-Dame, il fut inhumé dans le caveau familial d'Ille-sur-Têt, là où les mimosas, féminins acacias, embaument l'air comme une caresse de soleil dans le bleuté des soirs d'hiver.

Par affection sincère pour l'homme qu'il était, et pour que son œuvre ne soit point victime des vents tourmentés de l'oubli, l’Association des Amis de Louis Amade fut fondée. Aujourd'hui encore, sous la présidence de l'énergique Mauricette Morel, est notamment organisé un prestigieux concours permettant de révéler, chaque année, de nouveaux talents, mais surtout de perpétuer la mémoire de cet immense poète aux multiples et fabuleuses productions littéraires. Par ailleurs, les effets d'uniforme, décorations, souvenirs, photographies et autres écrits manuscrits du Préfet Poète sont présentés au public au sein des collections du Musée de la Préfecture de Police situé au commissariat du 5eme arrondissement de Paris.

Au crépuscule de ce court hommage, il me plaît d'imaginer que Louis Amade, alias Ramon de Costa, se tient debout, près d'un modeste piano où se sont assis Edith et Gilbert pour faire un bœuf, là-bas, dans la ferme de Saint-Laurent de Cerdans; qu'il est entouré de tous ceux qui ont aimé, chez lui, la grandeur d'âme que son talent avait rendue si pure, et pour ne citer qu'eux : Georges Moustaki, Tino Rossi, Luis Mariano, Sacha Distel, Georges Guetary, Richard Antony, Alain Barrière, François Deguelt, Serge Reggiani.

Regardez bien, ils sont là, ensemble, à l'unisson d'une amitié qui crépite dans l'âtre de la mémoire des hommes, qui crépite joyeusement alors que les cimes environnantes se couvrent d'une brume laiteuse et protectrice, comme une invitation à « la tempête étoilée » qui se prépare venant d'Espagne.

Christian Soleilhac